Source : Twitter (@VictorMartinsFr) / Alpine Driver Academy

Victor Martins : « Valider les objectifs, étape par étape, pour gagner »

Si l’on s’intéresse un tant soit peu au sport automobile ces derniers temps, son nom ne vous aura sûrement pas échappé. Du haut de ses 20 ans, Victor Martins grimpe les échelons, et apparaît comme l’un des noms les plus prometteurs du sport automobile français. Nous avons pu échanger avec lui, pour dresser son portrait et évoquer son présent, mais aussi son avenir.

Tout d’abord, pour commencer, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

Je m’appelle Victor Martins, j’ai 20 ans. Je viens de la région parisienne, de l’Essonne. J’ai eu un Bac ES. J’ai toujours fait du sport depuis tout petit. J’ai commencé par la gymnastique pendant 6 ans, et j’ai été notamment champion de France élite à 10 ans. Ensuite, j’ai commencé le karting à 12 ans, et c’est parti comme ça. J’ai pu faire 2 ans au niveau national en Cadet, et après avoir fait troisième au championnat de France, je suis passé à l’international. À partir de ce moment là j’ai toujours été en équipe de France et j’ai été notamment troisième au championnat d’Europe, premier au championnat du monde en 2016, ici même à Bahrein avant de passer en monoplace, et de faire de la formule Renault. (ndlr : Victor se trouvait à Bahrein dans le cadre de la première étape de sa saison au moment de l’interview) Ensuite, j’ai été deuxième au championnat en 2019, et champion en 2020. En 2021, j’ai été premier rookie en F3 et cinquième au championnat avec MP Motorsport, et cette année, je suis de retour avec ART Grand Prix.

Ta carrière n’était pas forcément prédestinée aux sports mécaniques, puisque tu as été Champion de France de Gymnastique à 10 ans. Pourquoi avoir privilégié la course automobile à ce sport ?

Pas trop effectivement puisque j’ai fait de la gymnastique pendant un certain nombre d’années. Mais après un certain temps, je m’ennuyais et j’essayais d’autres sports. Je crois que l’année de mes 11 ans je devais faire 4 sports : du baseball (parce que mon père en faisait en équipe de France quand il était jeune), du badminton, du rugby… Ensuite, au Portugal, j’ai essayé le karting de compétition pendant des vacances, et j’ai eu un réel coup de coeur. Après, ça ne s’est pas fait tout de suite car les budgets étaient difficiles à prévoir. Se lancer dans ce sport n’est pas une décision facile quand tu as 12/13 ans.

Aujourd’hui, est-ce qu’il t’arrive de réutiliser certaines qualités que tu as eu l’occasion de développer en gymnastique ?

Le physique je pense. C’est ce qui m’a forgé. Je n’ai jamais eu de problème dans une voiture car j’ai toujours eu une bonne base physique parce que je faisais beaucoup de sport depuis tout petit. Et l’état d’esprit aussi, puisque j’ai toujours eu l’esprit compétiteur et la haine de la défaite. Après, en commençant le sport automobile, j’ai du apprendre à perdre. C’est peut être bien dans certains domaines, mais j’ai beaucoup été dans la facilité dans les sports que j’ai fait : en gymnastique, je gagnais tout et j’étais plus prêt physiquement que les autres. Je gagnais, peut être grâce à cet esprit vainqueur, donc ça a peut être été un point négatif puisque dans le sport automobile je ne pouvais pas tout gagner. Je suis vite arrivé à un haut niveau, et j’ai du apprendre à m’améliorer sans être le meilleur tout le temps. Maintenant, j’utilise la défaite pour m’améliorer et revenir plus fort.

Quel est ton premier souvenir de sport ?

Je dirais la gymnastique. Je gagnais beaucoup, et quand je repense à ces années, je me dis que je ne me posais pas de questions. J’adorais ce que je faisais, et je gagnais sans grande difficulté. Avec mes parents on en parlait puisque certains parents étaient un peu jaloux. Je gagnais tout, mais moi à cette époque, quand j’entendais ça, c’était quelque chose qui me donnait encore plus envie de gagner. Parfois, je me dis que je devrais être dans ce mood comme ça de temps en temps : oublier ce qu’il y a autour, faire le truc à fond, tout gagner et énerver les autres. Ça peut paraître arrogant, mais si tu performes sans te préoccuper des autres, tu prendras juste du plaisir.

As-tu un modèle, une idole ? Un pilote préféré ?

En pilote, ça a toujours été Lewis Hamilton, et ce depuis tout petit. Je le regardais et je l’aimais beaucoup. Dans un autre sport, je dirais Ronaldo. Ça n’était pas je dirais un modèle car on n’avait pas autant accès à la vie des gens comme quand j’étais petit, sans les téléphones, mais il m’a bien inspiré. Étant donné que je suis d’origine portugaise, ça joue aussi forcément. J’avais la chance aussi d’être en France, et la majeure partie de mes cousins l’étaient également. Du coup, quand on se voyait, j’avais toujours envie de les surpasser quand on jouait. Mais je m’inspirais aussi de ce qu’ils faisaient pour faire pareil qu’eux.

En 2014, tu fais tes premiers tours de piste, et en 2016, à 14 ans, tu deviens le plus jeune champion du monde de Karting Français de l’histoire, comment expliques-tu cette soudaine ascension ?

Déjà, je dirais qu’avoir pratiqué un sport comme la gymnastique, à très haut niveau et jeune, m’a appris à gérer la pression et le stress. Ça m’a aussi aidé physiquement. Je me souvient que les 3/4 du plateau luttaient physiquement. Avec beaucoup d’adhérence et de grip, c’était dur de tenir le kart et je pense que j’avais un atout de ce côté. Après, je suis aussi passé par des phases compliquées. Je n’avais qu’une année pour être champion du monde, et c’était la première et la dernière pour prouver et ensuite évoluer vers d’autres catégories. Du coup, avec mon grand frère et mes parents, on s’est entouré à ce moment des personnes qu’on pensait être les meilleures pour moi. Tout le monde a été très dur avec moi pour que je m’améliore et que je comprenne les choses. Ça a été dur mentalement, mais ça m’a permis de m’améliorer et de franchir un cap. J’ai un peu eu cette impression d’ailleurs cette année. Sans me poser de questions, c’est comme si rien ne pouvait m’arriver et que les choses étaient écrites.

Victor Martins, champion du monde de Karting en 2016.

Quelle a été ta réaction lorsque tu t’es fait repérer par ART Grand Prix, écurie avec laquelle, je le rappelle, tu as remporté en 2020 le championnat de Formule Renault ?

Quand je suis sorti du championnat du monde en 2017, on a été contacté par Frédéric Vasseur, et il était à ce moment-là à la tête de Renault F1, et donc ART était à lui aussi. Mais ce n’était pas forcément en vue d’être directement chez ART, mais plus avec Renault de base. Je pense aussi que lui personnellement souhaitait aider et suivre un jeune pilote, en management. Lui et une autre personne désormais à la tête de ART m’ont toujours suivi, et sont aujourd’hui mes deux managers. C’est grâce à eux que j’ai fait le pas vers la monoplace en F4 française, et c’est parti de là. Je ne me rappelle pas exactement de comment j’ai réagi, mais j’étais forcément très content. Mais pas surpris, car c’était l’objectif d’être repéré par quelqu’un. C’était un soulagement et une délivrance pour démarrer une nouvelle aventure, vers l’inconnu. Le passage à la F4 était difficile au début : les circuits étaient très grands et j’avais du mal à m’amuser, mais je m’y suis fait et j’ai adoré saisir l’opportunité.

Quel est ton plus beau souvenir lié à ta carrière aujourd’hui ?

Pour l’instant, ça reste le championnat du monde de karting, parce que je savais que c’était l’année où il fallait gagné, sinon c’était terminé. Les budgets étaient trop importants, et sinon ça allait mettre ma famille dans l’embarras. C’était difficile car des fois, quand les résultats étaient mauvais, on était presque à arrêter pendant l’année. Je dirais donc ce soulagement et cette délivrance. Quand j’ai gagné en karting, je ne savais pas trop ce qu’il y avait derrière. Après, il y a eu la victoire en Formule Renault, car il fallait gagner le championnat et ne pas passer à côté. Mais comme j’étais un peu plus grand, j’essayais davantage de réguler mes émotions, et ça a été moins fort émotionnellement. En plus, comme j’avais fait quatrième à la dernière course, sur le coup, je n’étais pas content car je n’avais pas gagné la course (bien que j’avais gagné le championnat).

Et ton pire souvenir ?

Honnêtement, je pense que j’ai un pire souvenir par catégorie. En karting, c’était à Adria, en Italie, pour la première manche du championnat d’Europe. Je me suis accroché avec un pilote, qui était premier et très agressif. En essayant de le doubler, il m’a mis un coup de roue sur le freinage. Je pensais que c’était sa faute et que je n’avais rien pu faire. Et quand nous sommes allés à la direction de course, mon Team Manager était en fait contre moi, et a dit que je méritais de sortir, et que ce n’était pas comme ça que l’on gagnait sur un weekend. C’était le moment où je m’accrochais beaucoup sans réfléchir en course, sans réfléchir à gérer. Je suis tombé de haut (rires), et même mon père était de son côté ! C’est là que j’ai entendu la première fois la possibilité d’un arrêt de ma carrière, si je ne comprenais pas la chance et l’opportunité que j’avais. C’était le pire moment, mais ça a servi de déclic.

Ensuite, en F4, alors que j’avais la possibilité de gagner le championnat avec 5 points d’avance au dernier weekend, je m’accroche avec le premier, qui en plus ne marquait pas de points ! C’est une erreur qui m’a servi, et qui m’a appris que tout peut s’arrêter d’un jour à l’autre. C’est peut être le plus dur moment de ma jeune carrière, car ça m’a empêché de gagner le championnat. Au-delà de ça, j’ai aussi perdu 100 000 euros puisque le vainqueur gagnait cette somme. Mais ça a aussi embêté Renault, puisqu’ils prenaient le gagnant du championnat. Ils me voulaient moi et avaient prévu que je gagne. Ils ont donc dû prendre deux pilotes. Et après ça, l’hiver a été dur puisque tout le monde s’est questionné quant à mon financement.

Si tu devais être un.e autre sportif.ve tricolore, le ou laquelle choisirais-tu ? Pourquoi ?

Je ne sais pas franchement, c’est dur. Je m’étais toujours dit que si j’avais vécu à la montagne, j’aurais fait du ski. Alors je dirais Alexis Pinturault. Quand j’ai commencé à le regarder, j’étais jeune et je l’ai beaucoup aimé. Comme Teddy Riner qui inspire beaucoup par son professionnalisme. Mais je dis ça alors qu’ils sont âgés, ils n’ont pas vraiment mon âge (rires). Je ne trouve pas de jeunes, à part certains gymnastes français quand j’étais petit.

Dans le paddock, est-tu proche de certains pilotes ? As-tu une anecdote par rapport à l’un d’entre eux ?

J’en connais quelques uns comme Pierre Gasly, avec qui j’ai pu faire une émission sur C8 vers les années 2016/2017, et j’ai la chance de pouvoir discuter avec Esteban Ocon grâce à Alpine. (ndlr : Pour rappel, Victor Martins fait partie de l’Alpine Driver Academy). J’ai une anecdote mais elle ne s’est pas passée sur le circuit. C’était au Gala de remise des prix FIA, à Vienne. À ce moment, le gratin est réuni, et en 2016, c’est quand Nico Rosberg est titré et que Lewis Hamilton est deuxième. Je venais d’être champion du monde de karting, et du coup j’ai pu voir Lewis pour la première fois. Du coup je lui ai demandé une photo, et on a pu parler 20 secondes, c’est vraiment court, mais je me souvient qu’il m’ait dit en regardant ma coupe : « Bravo, mais regardes, tu as une plus grande coupe que moi quoi…! », et j’ai la photo où il a une toute petite coupe, alors que moi j’ai un immense truc.

Et par rapport à toi cette fois, as-tu une anecdote personnelle à nous livrer ?

Je me souviens que l’année dernière, lorsque j’ai gagné à Zandvoort, aux Pays-Bas, certains fans m’ont donné des StroopWaffle, des sortes de biscuits au miel typiques, et j’ai gouté avec toute l’équipe, ce qui a donné lieu à une photo qui a été postée sur les réseaux, c’était assez drôle.

Quel est ton circuit préféré, et pourquoi ?

Ça reste Monaco. Même si je n’ai pas la chance d’y rouler en F3, j’ai pu le faire en Formule Renault, et j’ai même gagner là-bas. L’ambiance qui y règne est vraiment particulière et mythique, et j’adore les circuits en ville. Sinon, si je devais en dire d’autre j’aime vraiment Abu Dhabi, Budapest…et aussi Zandvoort !

Tu es désormais pilote de l’Alpine Academy. En 2021, tu as été titré Rookie de l’année, quel ressenti as-tu par rapport à cela et par rapport à la saison que tu viens d’accomplir ?

C’était évidemment une très bonne saison avec beaucoup de rebondissements. J’ai été aux avants postes très rapidement alors que ce n’était pas forcément l’objectif de se battre autant pour des pôles et pour la victoire. Mon entourage a été surpris, et peut-être que je me suis trop vu dans la lutte pour le titre alors même que certains week-ends étaient compliqués et qu’ils ne nous permettaient pas de jouer dans cette cour. J’ai appris beaucoup de choses, et je me suis retrouvé à gérer des situations que je n’aurais pas pensé gérer de cette façon. Même mon agressivité en course et mes dépassements sont des choses que je faisais pas avec autant de contrôle et d’opportunisme. C’est un point que je dois garder pour le reste de ma carrière je pense. J’aurais pu me bagarrer pour de meilleures places mais des erreurs m’en ont empêché car je voulais trop gagner. J’aurais peut-être dû plus réfléchir avant d’agir. Je vais être plus souvent dans le management et dans le calcul à l’avenir !

La saison s’est un peu faite en trois fois : un début de saison qui marche bien, de bonnes qualifications. À Barcelone avec un peu plus d’expérience, j’aurais pu faire la pôle. Au circuit Paul Ricard, ce week-end est peut être arrivé plus tôt. Après, j’ai ressenti une obligation de résultat, car je venais de faire un truc de fou au Paul Ricard. Après ça, les résultats ont un peu chuté et j’ai eu des week-ends compliqués à Budapest, en Autriche. Mais quand on est repartis à Spa-Francorchamps, j’ai fait deuxième à la course principale, ce qui m’a relancé pour la suite. Dans ces moments, on avait tellement perdu de points que j’ai pris Spa sans me poser de questions, ce qui fait que ça a marché, et Zandvoort aurait du me permettre de mieux gérer la fin du championnat, si je n’avais pas fait certaines petites erreurs. Une saison, c’est un équilibre à trouver. Il faut garder les hauts, et gérer les bas. Parfois aussi, il faut mieux gérer les hauts.

Quel est ton objectif pour la saison à venir ?

Mentalement déjà, j’ai fait une grosse préparation mentale avec mon préparateur que j’ai maintenant depuis longtemps. Dans ce domaine là je me suis bien préparé, physiquement aussi. J’ai fait une grosse coupure pour profiter de mes amis, de ma famille et des choses que j’aime faire tout simplement. Sur la partie technique, j’ai su assez tôt pour la première fois ce que j’allais faire l’année d’après, ce qui m’a vraiment permis de couper facilement. Au retour, j’étais content d’apprendre quel ingénieur j’allais avoir, et à partir de là, on s’est souvent réunis pour travailler ensemble et acquérir des petites routines pour les week-ends. Les essais se sont bien passés à Bahrein. Le rythme est présent et je me sens bien dans la voiture. Après, je dois faire attention à ne pas arriver trop serein pour ne pas me faire surprendre, ni à trop vouloir gagner. Pour l’instant, je regarde et j’observe comment les choses se passent. Dans l’équipe aussi, je me sens bien. Il faudra bien analyser jour après jour, course après course. Je veux gagner évidemment, à commencer par ce week-end, mais je vais essayer d’être plus posé. Contrairement à l’année dernière, je n’ai rien à prouver, et l’objectif est vraiment de gagner cette fois. Si j’ai la voiture pour le faire, les résultats suivront.

Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir Victor ?

À court terme, de kiffer au maximum, de vivre à fond ce que je fais, pour saisir cette chance. Et par le bonheur et le plaisir que je vais prendre, on peut me souhaiter les résultats que je veux avoir pour espérer arriver un jour en Formule 1. Mais d’abord, il va falloir valider les objectifs, étape par étape. Il faudra atteindre les titres de F3 et de F2 avant d’atteindre la F1.

Crédit photos : Site Officiel de Victor Martins