Crédit : Bellenger-Lecocq/IS/FFBB

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ITW – Laure Coanus et la féminisation de l’arbitrage

Illustrée au plus haut niveau par les succès de Stéphanie Frappart ou de Julie et Charlotte Bonaventura, la féminisation de l’arbitrage poursuit sa progression. Entretien avec Laure Coanus, arbitre de Jeep Elite, Pro B et Ligue Féminin de Basket (LFB).

Sur les 64 076 arbitres recensés au total en France sur les 4 sports, 12 810 sont des femmes, soit 20% des effectifs. Un chiffre qui cache des disparités importantes entre les sports. Si la féminisation demeure un enjeu important dans le rugby (146 arbitres féminines, 6% de l’effectif total) et le football (1 100 arbitres féminines, 4%), le basketball (3 560 arbitres féminines, 25 %) et le handball (8004 arbitres féminines, 29 %), font aujourd’hui bonne figure en termes de parité.
 
Ces chiffres sont néanmoins en constante progression dans ces 4 disciplines. Le nombre d’arbitres féminins dans l’hexagone a ainsi été multiplié par 2,5 depuis 2011 passant d’environ 5 000 arbitres (10% du total), à 12 810 arbitres pour la saison 2019/2020. Preuve que les politiques volontaristes, soutenues par La Poste, des fédérations en termes de recrutement de femmes arbitres commencent à porter leurs fruits.
 
Selon une étude d’opinion commandée par La Poste à l’occasion des Journées Nationales de l’Arbitrage, la féminisation du corps arbitral est très fortement souhaitée par les Français avec 93 % d’opinions favorables. 9 Français sur 10 considèrent par ailleurs que le développement de l’arbitrage à l’avenir passe par la féminisation.

1. Pour débuter, peux-tu te présenter à notre communauté ?

Je m’appelle Laure COANUS, j’ai 25 ans, je suis arbitre de Jeep Elite, Pro B et Ligue Féminin de Basket (LFB) et j’habite une commune de l’agglomération d’Annecy. J’ai commencé à jouer au basket à l’âge de 6 ans, quand on m’a fait comprendre que j’étais trop grande et de surcroit loin d’être souple pour la gymnastique. J’ai eu la chance d’intégrer le pôle espoir de la Ligue des Alpes et de pouvoir jouer en NF3 et de m’entrainer avec un groupe de NF1.

En plus d’être arbitre, je suis ergonome – conseillère en prévention des risques dans la commune de Cluses. D’ailleurs, je remercie les élus et ma direction de pouvoir me permettre de concilier ma passion de l’arbitrage et mon métier.

2. Comment t’es venue cette envie d’arbitrer et à quel moment as-tu compris que tu allais en faire ton métier ?

Malheureusement, je me suis tournée vers l’arbitrage par dépit au début. A l’âge de 16 ans, j’ai eu une grave entorse, avec une opération qui m’a éloigné des terrains de basket pendant 9 mois. A la suite de cette saison-là, j’ai voulu m’éloigner du championnat de France pour jouer au niveau régional et j’ai intégré l’école d’arbitrage départementale. Mon souhait était alors de découvrir un nouvel aspect de mon sport, un autre point de vue, tout en restant sur le terrain. Comme je le disais plus haut, aujourd’hui l’arbitrage n’est pas mon métier, ça le sera peut-être un jour car il y a un projet de professionnalisation des arbitres entre la Fédération Française de Basket Ball et la Ligue National de Basket.

Quand j’ai commencé l’arbitrage il y a 8 ans, je ne pensais pas atteindre la 1 ère division française masculine. J’espérais atteindre un jour la LFB, mais ce n’était qu’un rêve à mes débuts. Et plus le temps a passé sur les terrains avec le sifflet à la bouche, plus je me suis sentie à l’aise dans ce rôle d’arbitre et plus j’ai eu envie de découvrir les niveaux supérieurs.

3. Pour toi, quelles ont été les clés de ta rapide accession au haut-niveau ? Es-tu inspirée par le parcours d’un/e arbitre en particulier ?

Le fait d’avoir joué au basket jusqu’à mes 23 ans, d’être passée dans un pôle espoir et d’avoir été entrainé par des entraineurs qui sont actuellement sur le haut-niveau, m’a beaucoup aidé. Cela permet de lire le jeu et d’adapter son déplacement en conséquence pour pouvoir bien juger les actions. Ensuite, j’ai beaucoup travaillé lors des différents stages auxquels j’ai pu participer (notamment les stages nationaux pour intégrer le haut-niveau), je pense avoir écouté et appliqué tous les conseils que pouvaient me donner les observateurs (ceux qui nous supervisent pendant les matchs) et je n’ai cessé de me remettre en question pour continuer de progresser dans mon arbitrage. Je dirais qu’il y a aussi un élément à prendre en compte dans la carrière d’un arbitre et de son accession au haut-niveau, c’est le facteur chance ; tout comme les joueurs finalement. Il faut être bon sur le terrain au bon moment et être vu par les bonnes personnes. Ceci offre de nouvelles opportunités, si on sait les saisir !


Il est vrai que le parcours de Chantal JULIEN (actuellement directrice technique de l’arbitrage français et ancienne arbitre de pro A et internationale) est très inspirant. 2 finales olympiques sur le tournoi féminin, la première femme à arbitrer une rencontrer masculine sur le tournoi masculin. Pour une jeune arbitre qui commence, c’est un exemple à suivre. Du côté des arbitres masculins, j’ai admiré mon ami, Benjamin BOURY (actuellement arbitre de Pro B) qui était arbitre de Nationale Masculine 1 quand j’ai débuté. Il a participé à ma formation et à ma progression jusqu’à haut-niveau et je l’en remercie.

4. Selon toi, y-a-t-il des différences dans la manière d’aborder l’arbitrage entre les femmes et les hommes ? Quelles sont les compétences principales que doit posséder un/e arbitre ?

Il est certain que l’environnement autour d’un match de LFB et de Jeep Elite est différent, mais je prépare mes matchs de la même manière. Je regarde comment les équipes jouent, quelles sont les spécificités de leur jeu auxquels nous devons être vigilant pour bien arbitrer. Ensuite je me focalise sur le travail de notre trio du match pour savoir quelles vont être les clés pour performer tous ensemble sur la rencontre.

Parmi les compétences principales d’un arbitre, je dirais que la rigueur, la remise en question, l’anticipation et l’adaptation sont primordiales. Rigueur car nous sommes garant de l’application des règles sur le terrain et nous devons les appliquer de façon impartiale tout au long du match. La remise en question car si nous croyons qu’à la fin de chaque match nous avons été « bons », nous ne progresserons jamais. Même les meilleurs arbitres du monde se remettent en question et il ne faut pas oublier que c’est dans l’erreur que nous apprenons le mieux. L’anticipation car le basket moderne est un sport très rapide, sans anticipation l’arbitre subit le jeu et il ne sera pas dans les meilleures conditions pour prendre les bonnes décisions. Et enfin l’adaptation car nous devons nous adapter au jeu proposé d’un match à l’autre mais aussi s’adapter pendant un même match car l’intensité du match peut varier.

5. Toi qui arbitre tant des hommes que des femmes, as-tu observé une différence de comportement entre les deux sur le terrain vis à vis de l’arbitrage ?

Les hommes peuvent être parfois plus « impulsifs » que les femmes. Notamment lorsqu’un joueur peut être en désaccord avec notre décision, il peut défier verbalement et même physiquement l’arbitre en l’intimident (leur physique est la plupart du temps plus important que celui des arbitres). Pour les femmes cela reste uniquement verbale.

En termes de la confiance qu’ils nous accordent, je dirais que c’est la même chose. Si nous leur montrons que nous sommes performants et humains (savoir dire lorsque nous avons commis une erreur par exemple), peu importe que nous soyons une femme ou un homme arbitre. Ils attendent de la compétence ; à nous de leur donner.

6. Alors qu’on constate une féminisation de l’arbitrage (12 810 femmes arbitres sur les 64 076 arbitres recensés en France sur les 4 sports collectifs principaux), existe-t-il des temps forts dans l’année permettant de mettre en lumière les arbitres féminines et ainsi susciter de nouvelles vocations ?

Je pense que la journée internationale des droits des femmes permet de mettre en avant les femmes arbitres, quel que soit leurs niveaux d’arbitrage. A mon sens, il est important de montrer qu’il y a aussi des femmes qui arbitrent les hommes, tout sport confondu. Comme au football, où Stéphanie FRAPPART est devenue en 2019, la première femme à arbitrer la Ligue 1 en tant qu’arbitre central.

Les journées nationales de l’arbitrage mises en place par La Poste sont également un moyen de mettre en avant l’arbitrage féminin. J’ai eu la chance d’y être sollicitée en octobre 2019 (j’en profite pour remercier la FFBB et La Poste de leur invitation à cet évènement), c’est un moment d’échange et de partage, très enrichissant, entre les arbitres de nos 4 sports collectifs les plus pratiqués en France.

Pour le basket, à chaque début de saison le sport féminin est mis à l’honneur, il s’agit de l’Open Féminin de la LFB. La 1ère journée du championnat est jouée au même endroit par toutes équipes sur le même week-end à Paris Coubertin. Et la particularité depuis 2016, ce sont uniquement des femmes qui arbitrent les rencontres (toutes les arbitres haut-niveau de la France). Cet évènement permet de mettre en valeur l’arbitrage féminin du basket français.

7. Selon une étude d’opinion commandée par La Poste à l’occasion des Journées Nationales de l’Arbitrage, la féminisation du corps arbitral est très fortement souhaitée par les Français avec 93 % d’opinions favorables. Pour toi, quels sont les leviers à activer pour accélérer cette féminisation de l’arbitrage français ?

Nous devons susciter plus de vocation chez les jeunes femmes à devenir arbitre en leur montrant que ce n’est pas parce qu’elles sont des femmes qu’elles ne peuvent pas arbitrer. Bien au contraire, nous sommes capables de prendre des décisions, capable d’appliquer un règlement, capable de recadrer les comportements des acteurs du jeu s’ils sont hors cadre, capable de se remettre en question autant que les hommes (si ce n’est même plus).

Ce qui est important selon moi, c’est qu’il faut montrer que les femmes sont l’égales des hommes, surtout sur un terrain de sport. Encore aujourd’hui, beaucoup trop de femmes se sous-estiment et ne se croient pas être capable de faire comme les hommes. Il n’y a aucune peur à avoir d’endosser la chemise d’arbitre et de mettre les premiers coups de sifflet sur un terrain. Mais malheureusement, beaucoup trop de jeunes femmes, lorsqu’elles commencent l’arbitrage, arrêtent au bout de quelques matchs car elles sont dépréciées et stigmatisées par le public présent au bord des terrains.

Il y a encore peu de temps, je regardais un match depuis les tribunes et c’était une femme qui arbitrait et même le public féminin scandée des remarques de type sexiste, j’en ai été fortement attristée. Je pense qu’il y a un gros travail à mener auprès du public pour les sensibiliser à l’arbitrage. N’oublions pas que sans arbitres, il n’y a pas de sport…

8. Pour terminer, pourrais-tu nous partager ta plus belle expérience liée à l’arbitrage ?

Ma plus belle expérience à l’heure actuelle, est lorsque j’ai arbitré la finale de la Coupe de France féminine en 2019 opposant Bourges à Charleville. Car il s’agit d’une finale qui oppose les meilleures équipes du championnat français et aussi car le match s’est déroulé à l’Accorhotels Arena, ce genre d’évènement ne se présente pas toutes les saisons dans une carrière.

Rendez-vous sur le site www.tousarbitres.fr pour toutes celles qui aimeraient se renseigner sur « comment se lancer dans l’arbitrage ».