Quelles sont les conséquences des chocs dans le rugby moderne ?

Le débat revient avec insistance au fur et à mesure que la discipline évolue. Les chocs ont toujours fait partie intégrante du rugby, mais doivent être aujourd’hui considéré comme un réel enjeu de santé. Parmi eux, les commotions cérébrales et leur lot de syndromes ex-post. Aujourd’hui, il est devenu vital pour la survie du sport de prendre en compte ces phénomènes. Nous avons enquêté afin de comprendre, à l’aide de témoignages, l’impact de ces chocs mais surtout comment leur prise en charge pourrait être améliorée.

C’est une scène qui revient bien plus souvent qu’elle ne le devrait dans le rugby moderne. L’image d’un joueur sonné, titubant pour sortir du terrain. Alors même si le problème a réellement été pris à bras le corps aujourd’hui, il devient nécessaire de prendre conscience des dangers des contacts dans ce sport. Nous sommes donc partis interroger des joueurs et des joueuses, pour tenter d’en savoir plus sur les impacts et les conséquences de ces chocs.

La confrontation aux chocs, fait très présent au cours d’une carrière dans le rugby

Chez les femmes comme chez les hommes, les personnes que nous avons interrogé ont toutes déjà été confrontées à des chocs au cours de leur carrière. C’est notamment le cas de Chloé, Emma, Cyril et Fanny. Ces derniers ont évolué à des niveaux différents les uns des autres (Elite 1 féminine, Pro D2, Fédérale 1 et 2), mais ont tous été au moins une fois exposés à des contacts violents, si ce n’est plusieurs.

Il peut bien entendu exister des situations naturelles au cours desquelles les joueurs de rugby sont confrontés à des chocs violents. Que ce soit dans des moments de plaquages assez forts, de rucks, ou d’entrées en mêlées, ou lorsqu’un grand gabarit en rencontre un petit. Mais parfois, ces derniers peuvent aussi être la conséquence d’une mauvaise chute, d’un plaquage mal accompagné… Certains se font dans les règles de l’art, d’autres pas. Certains postes sont également plus touchés que d’autres, et notamment ceux qui se trouvent exposés à la mêlée.

« Je n’ai pas personnellement subit des gros chocs cérébraux qui ont menés à des commotions, ou pire. Mais j’ai déjà vu certaines de mes coéquipières tomber après un choc violent, ce qui est assez spectaculaire ! »

Fanny Camus, Élite 1 Féminine au Stade Villeneuvois

L’évolution récente des chocs dans le rugby

Avec le temps, le niveau d’exigence augmente. Selon les mots de certain(e)s, la musculation aurait joué un rôle considérable depuis quelques années en contribuant à l’augmentation de la puissance de ces chocs. Plus la musculature augmente, plus les joueurs et joueuses ont de force, plus l’impact est important. Comme nous le confirmait Chloé, il est vrai que les règles ont changé, favorisant parfois le jeu, et donc les impacts. Et même si le renforcement musculaire pourrait faire penser que les corps soient plus préparés, la tête, elle, reste tout autant fragile. C’est là un axe important de réflexion !

L’intensité de ces chocs évolue donc assez négativement. Même si les gestes dangereux et volontaires sont prohibés, et leur nombre en forte baisse, ces impacts n’en restent pas moins présents. Un plaquage dangereux, un mauvais placement ou tout autre action mal anticipée, et une blessure grave est très vite arrivée. On peut notamment penser à l’image de Samuel Ezeala entouré de draps blancs en 2018 sur la pelouse du Racing 92. Des images que les passionnés de rugby n’aiment pas voir, mais qui résultent pourtant d’un K.O dû à un choc sur le terrain.

Malgré tout, et c’est ce que nous explique le témoignage de Cyril, « le rugby reste un sport de contact, et un sport spectacle ». Dans cette perspective, il vaut mieux encadrer cette pratique pour éviter de nouveaux drames à l’avenir.

Comment prendre en charge ces commotions ?

Les accidents sur les pelouses de rugby font néanmoins avancer une chose : la prise en charge des chocs, et plus particulièrement des commotions. Dans une discipline où la sécurité et la santé des joueurs doivent primer sur le reste, il devient essentiel de mesurer la force de ces impacts. Et cela commence dès l’entrée sur le terrain, même si la plupart des acteurs de ce sport trouvent parfois cette prise en charge un peu légère. Et bien que les cartons bleus aient été instaurés dans certaines catégories, ils sont aujourd’hui remis en cause, alors qu’ils ne devraient être que formalité, et présents dans toutes les catégories, féminines et masculines.

« J’estime que cela n’est pas assez pris au sérieux, dans le sens où certaines commotions passent inaperçues, et que les délais de retour terrain sont parfois inappropriés selon les cas. De plus, tous les staffs bord terrain, les coachs et les kinés ne sont pas tous formés à la reconnaissance des comportements à risque. »

Emma Vernier, Elite 1 Féminine

Finalement, la prise en charge de ces chocs a lieu, évidemment. Et elle est en nette progrès depuis quelques années. Mais peut-être pas de la bonne manière, et il devient nécessaire de repenser cette problématique à l’échelle internationale. À l’heure où nous écrivons cet article, trop de disparités existent entre les pays, et les championnats. Bien souvent, les compétitions diffusées bénéficient d’une meilleure sécurité. Il faut enlever des terrains de rugby l’image du joueur sonné à cause d’un plaquage trop violent, ou d’une mauvaise retombée.

Les témoignages mettent en évidence des conséquences à long terme après un choc dans le rugby

Carl Hayman, Joe Marler… Ces noms ne vous disent peut être pas grand chose, mais ces deux immenses joueurs sont à ce jour les deux figures de proue marquantes si l’on décide de s’intéresser aux témoignages sur le sujet. Celui du dernier cité en a d’ailleurs ému plus d’un, notamment lorsqu’il confiait lors d’une interview n’avoir « aucun souvenir de [ses] enfants », après un effrayant impact contre les Saracens, sous le maillot des Harlequins. Aujourd’hui, l’international anglais reconnaît avoir « eu tendance jusqu’à présent à faire l’autruche ».

Mais comme lui, Carl Hayman, récemment atteint de démence suite à des chocs trop violents, souhaite ouvrir le débat et alerter grâce à sa situation. À une échelle davantage locale, les témoignages montrent bien qu’il faut prendre le problème à bras le corps, et vite. Même s’ils sont moins visibles, les chocs peuvent avoir des conséquences sur la santé des joueuses, et des joueurs.

« On voit de plus en plus de joueurs de rugby arrêter leurs carrières très jeunes à cause de commotions à répétitions. De grandes études dans le football américain montrent d’ailleurs déjà les dégâts sur les cerveaux des joueurs. Il faut rester vigilant, cela reste un sport ! »

Cyril Fouda, joueur en Fédérale 1 et 2, et en Pro D2

Quelles solutions à court, moyen et long terme ?

Maintenant que tout tend à prouver l’impact de ces chocs dans le rugby moderne, il faut désormais s’atteler à en trouver les remèdes. Éducation et prévention seront sans doute les maîtres mots d’un avenir positif pour ce sport. Mais il faudra sans doute aller plus loin, et repenser la manière de jouer. Si le risque 0 n’existe et n’existera évidemment pas, il serait présomptueux de dire que le nécessaire a été fait au niveau rugbystique et médical.

Il va être nécessaire de repenser les manières d’apprendre le rugby. La méthode néo-zélandaise a peut-être d’ailleurs déjà fait ses preuves à ce niveau. En jouant avec des rubans attachés au short, les jeunes joueurs et joueuses de rugby évitent ainsi avant un certain âge le moindre de contact. De quoi favoriser l’évitement, et réduire les situations de jeu accidentogènes, ce qui se ressent aujourd’hui au sein du jeu des All Blacks.

Mais comme dans n’importe quel sport de contact, il sera difficile d’éviter les chocs. Toutefois, en parler et en assurer un suivi plus précis, mais surtout en durcir la prise en charge permettrait déclencher des améliorations. Il faudra aussi repenser les équipements car aujourd’hui, on peut se poser la question de la réelle protection fournie par un casque de rugby.

World Rugby prend malgré tout ce sujet très au sérieux. En témoignent les protège-dents connectés offerts et portés par les joueuses de la Coupe du Monde de rugby féminin se déroulant actuellement en Nouvelle-Zélande. D’autres clubs, à l’instar de Clermont, ont également décidé de mettre en place une étude via un tel dispositif. D’après les mots de Rémi Gaulmin, cela permettra avant tout de « voir quelles phases d’entraînement peuvent être les plus accidentogènes ».

Avec un meilleur suivi, une protection plus efficace, mais surtout grâce à une certaine éducation, le rugby pourrait réinventer son avenir et ôter de son nom l’image qui l’associe à un sport violent. Chose que les acteurs de la discipline ne souhaitent absolument pas voir. Aujourd’hui, les témoignages montrent bien que la plupart de amateurs et professionnels du rugby souhaitent faire évoluer la discipline. Il n’y a plus qu’à.

Propos recueillis auprès d’Emma Vernier, Chloé Fouquet, Cyril Fouda, Fanny Camus, July Bernard, et Andrea Dirabou Kouassi
Stade Villeneuvois Rugby