Serge Betsen Academy

Crédit photo : Serge Betsen Academy

« La Serge Betsen Academy c’est une rencontre entre mon pays d’origine et ma passion » : Serge Betsen

L’ancien international 3e ligne aile aux 63 sélections, 2 grands chelems en 2002 puis 2004 et triple champion de France avec le Biarritz Olympique nous a accordé un entretien pour parler de son association créée en 2004, la Serge Betsen Academy (SBA).

La Serge Betsen Academy pourrait être une académie de rugby comme il en existe tant d’autres mais les actions mises en place avec en toile de fond les valeurs du sport vont bien au-delà de ça. Par le biais de ses fonctions professionnelles, Serge Betsen regarde systématiquement quelles actions pourraient être menées afin d’aider les enfants à travers son association.

1. Serge, comment vous est venu l’idée de créer la SBA ?

La SBA c’est une rencontre entre mon pays d’origine et ma passion. D’une part, le Cameroun où je suis né et que j’ai quitté à l’âge de 9 ans jusqu’à mon retour 17 ans après lorsque je me suis marié et d’autre part le rugby. 

Je suis arrivé en région parisienne à Clichy la Garenne et j’ai découvert le rugby à l’âge de 12 ans. Ce sport que je ne connaissais pas a changé ma vie. J’ai fait une rencontre avec une famille extraordinaire, la famille Zubiarrain. C’est le fils que j’ai rencontré par hasard au Stade George Racine à Clichy qui m’a donné rendez-vous un mercredi à 15h au club. C’était la première fois que j’étais à l’heure à un rendez-vous, il a changé ma vie. J’ai découvert le rugby en jouant avec Corinne, la sœur de Stéphane qui avait le même âge que moi. Comme je le dis souvent, c’est une fille qui m’a appris à plaquer. Je le raconte aujourd’hui, le frère m’a fait découvrir le rugby, sa sœur m’a appris à plaquer et le père était le président du club. J’y ai reçu un accueil incroyable et j’y suis retourné à chaque fois avec plaisir. Le fait que les bénévoles (comme dans beaucoup d’autres clubs) prennent du temps pour moi, j’ai trouvé ça extraordinaire et je m’y suis senti comme dans une deuxième famille. C‘est ce qui a été un déclencheur de passion, tout comme m’imprégner de ces valeurs de collectif, le rugby m’a fait me découvrir ce besoin du dépassement de soi. Je rêve que n’importe quel gamin dans le monde puisse porter un ballon de rugby entre les mains et que ce ballon puisse changer sa vie.

2. Pouvez-vous nous présenter brièvement la Serge Betsen Academy ?

L’objectif premier de l’association est d’aider les enfants à grandir dans leur contexte. L’ADN de l’Academy est construit autour de 3 piliers : l’accès à l’éducation et à la santé qui sont les 2 choses essentielles en Afrique auxquelles on ajoute les valeurs du sport. C’est dans le même esprit que la notion de sacrifice pour un collectif.

Je n’ai jamais hésité à donner de mon corps pour l’équipe (on retrouve ici le dévouement de Serge lorsqu’il était sur le terrain). On le fait parce que l’on pense que c’est vital pour le développement des enfants et pour leur permettre d’avoir des rêves, c’est ça que l’on essaye de faire avant tout. En Afrique, un enfant malade non pris en charge peut mourir dans l’heure. Il y a un parallèle avec les clubs de rugby qui deviennent des familles, ça se passe comme ça partout en France et dans le monde. Des gens donnent de leur temps pour ces enfants, un club de rugby, c’est un endroit sécurisé avec de la lumière, avec de la nourriture. Nos centres ont été construits comme ces clubs, les enfants qui viennent, vivent autour de nos centres avec des parents qui n’ont pas les moyens de les aider dans leur développement. Les enfants ont accès à une bibliothèque, une salle informatique, une infirmerie et à des activités sportives et scolaires. Ils ont un suivi qui est mis en place dès le début de l’année avec des bénévoles locaux qui assurent un suivi éducatif. Il y a une approche globale d’accompagnement qui permet d’avoir un taux de réussite aux examens bien plus important que la moyenne au Cameroun.

C’est un accompagnement sur mesure qu’offre la SBA à ces enfants. Pour moi c’est le parallèle de ce que j’ai vécu en tant qu’enfant dans mon club de rugby et ça m’a inspiré pour mettre en place un modèle au Cameroun et au Mali. Nous menons d’autres actions sur l’aspect sportif mais c’est plus rare. La Serge Betsen Academy avait ainsi aidé Kiki Morgan, une joueuse de rugby à 7, au financement de ses déplacements pour son aventure au Las Vegas Rugby 7. Aujourd’hui Kiki compte 2 world series avec les USA Eagles Sevens. Notre objectif n’est pas de faire une académie de sportifs de haut niveau. Je le dis souvent et de manière très directe car c’est ce que beaucoup d’enfants attendent de moi et de nos actions en Afrique mais je ne veux pas que l’on mélange les projets.

3. Comment la SBA a-t-elle été créée ?

Elle a été créée de manière assez simple. J’étais allé au Cameroun où mon cousin Ahmed m’avait dit qu’il y avait du rugby. Son contact a créé en moi l’envie de faire des choses. J’ai d’abord envoyé des ballons, des maillots et autres, puis quand je me suis marié, j’ai emmené ma femme et ma belle famille, c’était la première fois que je retournais au Cameroun. Je ne le savais pas encore mais c’est à ce moment là que j’ai vu mon père pour la dernière fois. En revenant de ce voyage, il s’est écoulé un ou deux ans et j’ai écrit un article dans le journal Sud-Ouest, après la coupe du monde de 2003, j’y parlais de mes projets à venir. En lisant cet article Marie-Marguerite Etcheverry qui est orthodontiste franco-camerounaise au Pays basque m’a contacté pour me dire, « je veux créer l’association avec toi », c’était en 2004.

4. Aujourd’hui combien avez-vous de centres et dans quels pays ?

Il existe 5 centres au Cameroun et un centre qui a ouvert fin 2020 au Mali.
• Le centre de Bafia situé à 2h de Yaoundé, ouvert en 2004, permet d’accueillir 65 enfants
• Le centre l’Eau Claire situé à 4h de Yaoundé, ouvert en 2008, permet d’accueillir une centaine d’enfants et de jeunes adultes de 4 à 20 ans
• Le centre le Jardin d’Eden situé au cœur de Yaoundé, ouvert en 2011, accueille 25 enfants de 4 à 12 ans dont la famille est en situation précaire
• Le centre de Zoétélé situé à 1h45 de Yaoundé, ouvert en 2013, permet d’accueillir 45 enfants de 3 à 18 ans
• Le centre d’Etoudi, situé dans un quartier de Yaoundé, ouvert en 2014, permet à 20 jeunes de 16 à 25 ans de pratiquer le rugby avec un suivi de santé
• Un centre au Mali situé à Bamako accueille entre 70 et 90 enfants pour les entraînements hebdomadaires de Rugby. Courant 2021, il sera ouvert tous jours avec du soutien scolaire pour 25 filles et la pratique du Rugby pour tous, les filles et les garçons, grands et petits le samedi

Le tout premier centre qui a été créé en 2004 était au départ dédié à la pratique du rugby mais ça a changé quand j’y suis allé. L’envie de transmettre mes connaissances a été modifiée quand j’ai vu les enfants évoluer dans ces conditions difficiles au milieu de cette terre rouge. J’ai vite eu besoin de me dire que le rugby serait une excuse pour partager des valeurs et offrir ce dont les enfants ont besoin pour leur développement. 

La première action a été de créer une activité rugby à Yaoundé. Cette activité s’est transformée en formation de jeunes joueurs qui sont depuis devenus des joueurs internationaux camerounais. À chaque voyage, je me disais que le but était de transmettre des valeurs et non pas de former des joueurs de haut niveau.

Nous avons donné des bases et le goût pour la pratique du sport. Cela permet un développement personnel sur la résilience, la motivation, cela amène à se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre en travaillant avec une équipe et faisant partie intégrante de celle-ci. Chaque fois que je voyage dans un pays, je fais des actions sans forcément en parler, ce sont des coups de cœur. Lors d’un voyage business à Hong-Kong, j’ai rencontré une boite américaine qui m’a dit « je veux bien t’aider mais les fonds doivent être utilisés en Asie ». En 2014, j’ai rencontré un Français qui faisait la même chose que moi au Cambodge, j’ai pu lui faire bénéficier de ces fonds. Nous avons ainsi créé un partenariat entre nos 2 associations. Voilà un peu comment nous fonctionnons. Pour plus de détails, rendez-vous ICI.

Nous avons également décidé d’aider une association qui construisait des classes dans un village reculé à Madagascar, nous avons contribué à cette construction. En 2016, j’étais à Rio pour les Jeux Olympiques, dans le cadre de mon activité business consulting, je suis allé dans les favelas avec d’autres associations françaises pour promouvoir le rugby. Lorsque nous avons eu le projet d’ouvrir un centre au Mali, nous avons fait le voyage avec Odile Prévot-Mussat qui est Secrétaire Générale de l’association.

Le rugby est un sport universel, voir un enfant n’importe où dans le monde porter un ballon de rugby c’est la vision que j’ai. C’est tout aussi important de voir les enfants jouer au ballon au Cambodge, au Cameroun ou au Mali. J’étais ému de voir ces enfants passionnés par mon sport, le pratiquer pieds nus sans se poser de questions. J’ai envie d’encourager et de faciliter certaines choses pour que ces enfants aient un accès à cet ADN formé par l’éducation et la santé, faire en sorte qu’ils soient bien dans leur tête et leur corps.

5. Si vous deviez faire un bilan de la SBA depuis 17 ans ?

J’ai eu la chance de découvrir un sport qui m’a passionné mais ma réussite c’est d’avoir trouvé un moyen de transmettre les valeurs du rugby à travers mon activité professionnelle mais aussi via la Serge Betsen Academy et d’avoir mis en place des actions concrètes. La réussite c’est de voir que grâce à nos initiatives, les enfants se développent pour atteindre leurs rêves. 

Comme le dit un proverbe africain “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin”. 

Il y a un sentiment d’extrême reconnaissance de toutes les personnes que j’ai pu rencontrer et qui me font grandir dans ce que je peux faire. Je remercie à chaque fois le bureau de mon association, Odile Prévot-Mussat, Sébastien Lovy (le trésorier), Marguerite-Marie Etcheverry et sur place nous avons des responsables de centres bénévoles qui font un travail incroyable au quotidien. Ils ont un engagement total, ils savent ce dont la communauté a besoin et nous remontent ces besoins. Je ne les remercierai jamais assez et comme je leur dis, tout ça leur appartient, c’est à eux, pas à moi, nous sommes tous de passage. 

Comme je l’ai appris avec la culture anglo-saxonne, avant un match les joueurs se disent : « Comment voulez-vous que l’on se rappelle de vous ? ».

Ndlr : Actuellement la Serge Betsen Academy accompagne environ 700 enfants entre le Cameroun et le Mali et a soutenu environ 7000 enfants dont 47% de filles depuis 17 ans. La SBA c’est 6 centres, 5 infirmeries, un pourcentage de réussite toujours supérieur à la moyenne nationale ayant atteint les 70% en 2020, 200 joueurs de rugby en 2020, 4,7 tonnes de matériel envoyé, 2 potagers, une coopérative agricole… N’hésitez pas à parcourir le site internet de l’association pour découvrir tout ce qui a été entrepris.

6. Pouvez-vous nous parler des projets en cours et à venir ?

Il y a un projet qui me tient à cœur qui est un projet important basé sur le recyclage des ballons de rugby. Cette opération s’appelle Recycling Rugby et est gérée au sein de l’Association sportive du Collège Diderot de Massy par Lionel Quenardel, un bénévole très actif qui est responsable technique de la SBA. Aujourd’hui Recycling Rugby recycle les ballons en portefeuille, en trousse ou en sac. Cette action a déjà permis de reverser 64 000 euros à l’association pour développer nos actions. Vous pouvez retrouver les produits Recycling Rugby sur facebook : www.facebook.com/RecyclingRugby/

Quant à nos autres projets, on a notamment lancé un projet Rugby for Kids dédiés à 26 filles et 24 garçons de 2 à 13 ans. Pour la première fois depuis 17 ans, on travaille vraiment sur les initiations aux tout-petits.

Nous avons aussi un projet qui touche les filles. Beaucoup d’entre elles rencontrent des difficultés pour aller à l’école lorsqu’elles sont en période menstruelle…. Elles sont absentes en moyenne 2 semaines par trimestre. Ce constat nous a conduits à distribuer des serviettes hygiéniques aux filles et aux mamans de la SBA Coop mais toujours dans l’esprit de notre développement durable, nous mettons en place la fabrication des serviettes lavables par les couturières de la SBA et des mamans du centre. On a donc lancé la fabrication de serviettes hygiéniques lavables pour qu’elles puissent aller à l’école et pratiquer du sport tout au long de l’année. On fera en sorte que ces serviettes puissent être vendues par les mamans couturières de la SBA. Ce sera ainsi autre source de revenus pour elles !

Depuis 4 ans, nous avons créé la SBA Coop sur notre site de Bangangté (Centre Eau Claire) qui est une coopérative de femmes rurales. On aide ces mamans à avoir des engrais et des semences pour leurs cultures, qu’elles remboursent avec l’argent des ventes ou produits qu’elles ont cultivés. Ces produits permettent de faire les repas dans nos centres. On a réussi à créer un écosystème qui permet de soutenir ces mamans car souvent elles sont seules à élever leurs enfants. Nous les aidons à générer des revenus qui leur permettent de subvenir aux besoins de leur famille. Nous travaillons actuellement sur des formations (climat, informatique, gestion…) avec des ONG internationales afin de leur apporter des solutions durables ».


Lien : https://www.sergebetsenacademy.org/fr/cameroun-notre-sba-coop-a-triple-sa-production/

7. Quels sont les impacts de la crise de la Covid-19 et comment vous êtes vous organisés ?

On a essayé d’être pro actifs. Lors de la 1ère vague on a fermé nos centres suite aux décisions gouvernementales camerounaises et on a travaillé énormément sur nos actions. Je ne voulais pas voir un cas dans nos centres. On a fait le nécessaire dès le départ et on a aidé nos familles et enfants en leur donnant de quoi se nourrir comme nous le faisons pour les semaines types. Quand ils viennent au centre, ils ont normalement une activité de soutien scolaire, un repas et de l’aide médicale (si besoin). Du fait de la fermeture, nous avons organisé des distributions de denrées alimentaires qu’ils emmenaient chez eux et avons décidé de garder l’infirmerie ouverte. Finalement on a continué d’aider de manière indirecte.

Fin juin 2020, les enfants qui passaient des examens ont pu revenir dans les centres. On a un taux de réussite au bac incroyable par rapport à la moyenne camerounaise. Pour l’année 2019/2020, nous avons un taux de réussite aux Bac (général et technique) de 70,37% (pour un taux national de 47,22%). Pour le BEPC notre taux de réussite est de 90% (60,86% au niveau national). Ces résultats font notre fierté. Ces enfants vont pouvoir trouver une place dans la société africaine et camerounaise pour trouver un emploi. A contrario, toutes les sociétés qui nous soutiennent d’habitude ont moins de fonds et de possibilités pour nous aider.

8. Quels sont les besoins les plus importants pour la SBA ?

Ce sont bien évidemment les fonds et les équipements pour la rentrée scolaire, des fournitures, des cahiers et des sacs. On fabrique des sacs pour nos enfants grâce à des couturières locales. Tout ça permet à nos enfants d’avoir tout ce qu’il faut pour aller à l’école. 

Nous sommes également toujours en recherche de partenariats financier ou matériel. Cette année, BIC nous a aidés en envoyant des stylos et le groupe Arno nous a donné un budget pour acheter des fournitures.

9. Comment peut-on vous aider ?

Tout fan de rugby a un réseau, donc transmettre nos messages et parler de nos actions, ce serait déjà beaucoup. Vous pouvez également :

10. Comment peut-on vous suivre ?

Vous pouvez nous suivre via notre site internet : www.sergebetsenacademy.org/fr/

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